mardi 21 février 2017

Podemos joue à pierre-feuille-ciseaux, par Pierre Marion (Ensemble!)

Le 11 et 12 février s’est tenu à Madrid le deuxième congrès de Podemos, plus connu sous le nom de Vistalegre II. Après une campagne incertaine et marquée par de fortes tensions entre les deux principaux courants, Pablo Iglesias s’est vue renforcé en obtenant la majorité absolue des voix. Radicalité en externe et pratiques plébiscitaires en interne sont les deux lignes principales de son projet.

La communication occupe une place centrale pour les stratèges du parti violet. Vistalegre II n’a pas échappé à la règle. Héritière d’une tradition marxiste révolutionnaire ouverte, Podemos en Movimiento, la candidature structurée autour d’Anticapitalistas, continue de lever le poing. La candidature d’Iñigo Errejon, a fait, elle, le « V » de la victoire. Représentant d’un « populisme constructiviste profond » selon l’expression de Josep Maria Antentas1, à la recherche d’une certaine normalisation et respectabilité, le « V » est symptomatique d’un secteur qui met en avant les contenus dépolitisant – les signifiants vides d’Ernest Laclau. Au milieu, Pablo Iglesias, a choisi, lui, de brandir une main ouverte en signe de ralliement. Hybridation entre eurocommunisme et populisme instrumental, le courant du secrétaire général oscille entre un côté et l’autre de la balance. Que l’on ait supporté l’une ou l’autre des candidatures, on a donc levé le poing, une main ouverte ou écarté deux doigt pour former un « V » ; ce qui a parfois fait prendre à Vistalegre II des allures de pierre-feuille-ciseaux géant.


Un congrès nécessaire mais polarisé 

Le congrès de fondation de Podemos, Vistalgre I, s’est tenu en octobre 2014. Promis à une victoire fulgurante, Podemos avait fait le choix de la « machine de guerre électorale », en mettant en avant l’efficacité au détriment de la démocratie interne. Depuis lors, la situation politique espagnole a bien changé. Podemos n’a pas gagné les élections législatives de décembre 2015, le pays a été plongé dans une longue crise politique qui s’est dénoué par l’abstention du PSOE et la reconduction du PP au pouvoir en octobre dernier.

Ces changements profonds ont forcé Podemos à redéfinir ses objectifs, sa stratégie et son fonctionnement interne. Lors des deux premières années d’existence de Podemos, la logique concurrentielle a pris le pas – au gré des élections aux différents organes internes -, sur la logique collaborative. Dans cette lignée, la campagne pour Vistalegre II a été marqué par un niveau d’affrontement très élevé entre les deux principaux concurrents, Iglesias et Errejon. Par médias interposés, ces deux derniers ont polarisé, à dessein, la campagne, faisant passé le débat d’idées au second plan.

Revisiter Vistalegre I 

Anticapitalistas, qui avait été marginalisé lors du congrès de fondation, a réclamé haut et fort ce qu’ils exigeaient depuis le début : plus de pouvoirs et d’autonomie aux cercles, les structures de bases du parti, une centralisation moins excessive et l’introduction de la proportionnelle dans les modes de scrutins internes. Face à la dévitalisation de Podemos, aussi bien Iglesias qu’Errejon ont dû reconnaitre que les arguments avancés par Anticapitalistas étaient fondés et qu’une refondation du parti était nécessaire.

En plus de la question organisationnelle, un autre point de débat important a été la position a adopté par rapport au PSOE et la place du curseur entre travail institutionnel et implication dans les mouvements sociaux. Le courant d’Errejon, en mettant en avant « los que faltan », ceux qui manquent, sous-entendu les électeurs socialistes déçus, a défendu une attitude plutôt conciliante vis-à-vis du PSOE. Avec pour corolaire, l’accent mis sur le travail institutionnel. A l’inverse, Anticapitalistas, à la vue de la situation dans l’Etat espagnol mais également dans les autres pays européens, a insisté sur la polarisation du spectre politique et par conséquent sur l’importance de se démarqué des partis traditionnels. Miguel Urban parle, en ce sens, de « crépuscule de l’extrême centre »2. Iglesias, quant à lui, a repris avec quelques nuances, les thèses défendus par Anticapitalistas. Ce qui a causé la rupture entre son courant et celui d’Errejon, les deux formant la direction sortante.

Unité comme maitre mot de Vistalegre

Face au risque de rupture du parti, dû à l’affrontement entre les deux principaux protagonistes, les quelques 9000 militants présents dans le palais des sports de Vistalegre – d’où le nom du congrès – ont scandé « Unidad ! », unité. Hormis le résultat du vote, c’est d’ailleurs le principal enseignement du congrès. Vistalegre a ressemblé à un grand meeting long de deux jours plutôt qu’à un exercice démocratique. Notons que des thèmes aussi importants que l’attitude vis-à-vis des Institutions européennes ou les alliances avec les autres forces de gauche ont été largement absents des prises de paroles. Malgré cette absence relative de débat, 155 275 personnes ont voté3, ce qui fait de ce scrutin, celui qui a connu la participation la plus forte.

Iglesias grand vainqueur 

Déjouant les pronostics, la liste et les documents4 de Pablo Iglesias ont obtenu une majorité absolue (autour de 54% pour les textes et de 50,8% pour la liste). Le secteur d’Errejon sort très affaibli de ce congrès avec 33,7% des voix. Quant à Anticapitalistas, avec 13,1% des suffrages, ils obtiennent un résultat correct et ont considérablement gagné en reconnaissance – Miguel Urban étant incontestablement l’orateur le plus applaudi lors de Vistalgre.

Le système de représentation interne au sein de la direction favorise grandement les deux principales listes. Anticapitalistas avec 13% des voix n’obtient que 2 sièges sur les 81 du « Consejo ciudadano estatal », la direction. Toutefois, Iglesias, conscient du poids de Anticapitalistas, a choisi d’intégrer Miguel Urban dans le « Consejo de coordinacion », l’organe exécutif. Celui-ci sera en charge des questions européennes, un poste qui peut s’avérer clé en cas d’arrivée au gouvernement – l’expérience Syriza est là pour le rappeler.

Au plan politique, le projet d’Iglesias encre clairement Podemos dans l’opposition au gouvernement et met l’accent sur la nécessité de la mobilisation sociale. Les risques de modération sont, pour le moment, franchement écartés. Sur le plan organisationnel, Podemos va rester, avec la victoire d’Iglesias, un parti vertical, centré sur son secrétaire général, faisant la part belle à la logique plébiscitaire. Emmanuel Rodriguez fait d’ailleurs le parallèle avec certaines pratiques bonapartistes5.

Pour le courant d’Errejon, c’est une défaite sévère. Cela remet en cause leur stratégie qui vise à miser avant tout sur la communication, via notamment les réseaux sociaux. Ils ont largement surestimé les relations virtuelles alors qu’une bonne partie des bases de Podemos reste très attaché à la figure d’Iglesias. Cela peut paraitre paradoxale étant donné qu’Errejon est le plus grand défenseur des thèses populistes6. Dans le même temps, Errejon qui avait la main sur une bonne partie de l’appareil – près de 200 personnes sont employés par le parti -, va voir ses points d’appui interne remise en cause.

« Unité et humilité »

Au sortir de Vistalgre II, Iglesias bénéficie d’une nouvelle direction qui lui est majoritairement fidèle et qui lui sera très probablement loyale. Il bénéficie également d’une légitimité renouvelée. Dans le même temps, la défaite claire d’Errejon éloigne les risques de rupture du parti. Toutefois, un certain nombre de problèmes n’ont pas été réglé. Loin de là. Podemos souffre toujours d’un déficit démocratique interne important. Pour associer les bases et faire en sorte que le parti ne soit pas une courroie de transmission, Podemos doit se décentraliser ; en lien avec les revendications d’autonomie exprimés par Podemos en Andalousie ou en Catalogne et la défense du « derecho a decidir », le droit à l’autodétermination des nations historiques.

Malgré sa victoire nette, Iglesias doit faire attention à respecter les différentes sensibilités internes et ne pas se replier sur son équipe. Le fonctionnement, parfois presque clanique entre les trois « familles », doit laisser la place à la collaboration. En ce sens, Podemos n’a pas encore atteint la maturité démocratique nécessaire.

Enfin, la fin de la campagne interne doit également être synonyme de reprise de la mobilisation sociale pour contrecarrer les politiques austéritaires du PP et du PSOE. Une mobilisation qui doit se construire, à l’instar de Podemos, dans « l’unité et l’humilité » comme l’a réclamé Teresa Rodriguez.

Pierre Marion

1 Josep Maria Antentas, “Podemos ante sí mismo” http://vientosur.info/spip.php?article12160
2 Miguel Urban, « Crépuscule de l’extrême centre » https://www.monde-diplomatique.fr/2016/11/URBAN/56787
3 Le vote se déroulait en ligne. 456 725 personnes sont, au total, inscrites sur la page web de Podemos mais beaucoup sont inactives, ce qui ne reflète donc pas vraiment le nombre d’inscrits au parti. Pour plus de chiffres sur Vistalgre : http://politica.elpais.com/politica/2017/02/12/actualidad/1486896395_744...
4 4 textes – politique, organisationnel, étique et « d’égalité » -, ainsi que la rénovation de la direction étaient soumis au vote.
5 Emmanuel Rodriguez, “Pablo Bonaparte: la confirmación” http://ctxt.es/es/20170208/Firmas/11080/Vistalegre-Pablo-Iglesias-I%C3%B...
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6 Pour aller plus loin : Raul Camargo, « Vista Alegre II: Se acaba el espectáculo, ¿comienza la política?” http://blogs.publico.es/contraparte/2017/02/14/vista-alegre-ii-se-acaba-...

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